Yemanja
Je suis mon propre moteur. J’entretiens le feu qui m’anime. Je le nourris, je l’alimente. Je le laisse s’exprimer à travers ma créativité. Je le protège des courants qui pourraient éteindre sa lumière. De toute façon, il est bien trop gros pour être menacées par quelques gouttelettes de projections angoissées, jalouses, dépressives ou ignorantes.
Je me sens autonome. Guidé par les anciens. Par les rêves. Par les forces des loas. Par la source. Le doute s’est transformé en stimulation. La peur en audace. Le vide en abondance. Le chaos en félicité. Le contrôle en spontanéité. Les tensions en relâchement. La pression en espace. Les limites en liberté.
Ma rencontre avec les guerriers m’avait mis sur le qui-vive. Prêt à dégainer les armes à chaque instant. Sortir l’arc ou le sniper dès l’émergence d’un effleurement. J’étais à fleur de peau. Le moindre stimulus engendrait par méfiance la réaction du combat et de l’adversité. Cette bataille est allée chercher des ressources que je ne savais pas présentes en moi.
Dans cette jungle de tous les dangers, j’étais dans un état d’alerte permanent. La moindre déficience de mon attention me rendait vulnérable à toutes sortes de fantasmes dont les plus petites piqures pouvaient engendrer des tourments sans nom.
Je maintenais ma présence constante dans tous mes gestes, dans tous mes sens et même jusque dans les rêves ou dans le sommeil. Aucun répit pour ma vigilance qui se développait dans la même mesure qu’un stress difficile à supporter.
Mes armes sont tombées. Ma furie sanguinaire de recherches et de pratiques ne trouve maintenant plus d’adversaire.
La fatigue et l’épuisement fondent dans un repos salvateur. Les questions se délitent dans la joie de ne pas savoir. J’essaie d’inventer des nœuds, des blocages. De trouver des problèmes. Mes tentatives de complexifications se dissolvent dans la simplicité et l’émerveillement.
Les formes fluent er refluent dans une musique si calme et qui se renouvelle sans cesse. Elles ondulent dans un bercement de douceur et de volupté. Je me laisse porter dans des bras d’une chaleur exquise.
Je suis dans les bras de mon sujet du jour. La mère divine. Yemanja.
Je suis revenu dans une maison que j’avais quitté et que je connais depuis toujours. Je suis nu devant une mère qui me connait mieux que personne. Je ne pourrais jamais lui cacher aucune égratignure, aucune blessure héritées de mes combats.
Je suis redevenu enfant, baignant dans cette force qui ausculte toutes les particules de mon être. Ce souffle de présence d’une tendresse infinie caresse mes cicatrices, panse les plaies profondes de mon corps. De mon cœur.
Je ne peux pas lutter. Je reconnais les goûts, les odeurs, les sons, les images, les contacts desquels je suis né et dont le souvenir s’estompait peu à peu. Je me retrouve moi. Juste moi. Tel que j’étais à l’origine.
Je redécouvre ma maison. Mon innocence. La joie de ne me préoccuper de rien. De pouvoir jouer à l’infini avec la création entière. Je suis pris d’enthousiasme débordant pour des plaisirs si simples. Je trépigne d’impatience devant tous les possibles.
Je m’enfonce dans le réconfort. Je n’avais pas conscience à quel point j’en avais besoin. A quel point cela m’avait manqué. Je reçois avant même d’avoir demandé. Chaque instant me comble de grâce.
Un jour il me faudra quitter ce rivage. Reprendre les armes dans de nouvelles formes. Mais pour l’instant je savoure. Et je n’oublierai jamais. Je sais que je reviendrai.