Olodumare

J’ai la sensation de m’adresser à des spectateurs et des spectatrices d’une salle de cinéma. Bien installés dans le fauteuil de leur quotidien et de leurs histoires. A travers des récits, des scènes, des images, j’emmène un auditoire dans un univers qui leur est pour la plupart très éloigné.

Loas, Eshu, Ogun, Ochosi, autant de noms aux racines, aux consonnances et aux significations lointaines. Je m’emploie à clarifier ces énergies, à leur donner vie et sens à travers mes mots et mes expériences.

Quand la séance se termine, quand la lecture arrive à la fin du récit, les lumières se rallument. Le spectateur et la spectatrice reprend le cours de son quotidien. Peut-être quelques images du film perdurent un moment. Quelques rémanences dont le mental peut se saisir pour discuter, critiquer, aduler, détester, commenter.

La question qui me traverse aujourd’hui me déchire. De façon littérale car je suis dans une vraie dualité, dont les deux pôles semblent distants de plusieurs années lumières. Il y a moi et il y a vous. Le film et celui ou celle qui le regarde.

Comment faire l’union entre les personnages du film et la réalité du spectateur ou de la spectatrice ? Comment les forces qui sont en jeu dans mes récits, avec leur noms rocambolesques, peuvent-elles traverser l’écran des projections ?

Le film et ses personnages sont ma réalité. Mais pour vous, ce sont des rôles joués par des actrices et des acteurs. Vous pouvez ressentir leurs émotions, vivre à travers eux des sensations, des perceptions. Mais vous n’êtes pas eux. Ils sont des fictions.

Cette dualité existe car nous sommes dans des référentiels différents. Je suis dans le référentiel du film ou de l’écran que vous êtes en train de lire. Je suis dans le référentiel de l’animisme, du vaudou, du yoga ou des yorubas. Et vous êtes dans le référentiel de votre fauteuil ou de votre canapé. Dans le référentiel de tout votre héritage expérientiel, culturel et géographique.

Cela m’amène au sujet du jour. Le plus simple et difficile à la fois. L’origine de toute chose. Celui qui est au-delà des référentiels. Il est le créateur des Loas. Dans l’animisme, on l’appelle Olodumare.

Me voila dans le grand espace. On ne peut pas mettre de mot pour le décrire puisque ce serait l’enfermer dans des références.

Imaginez notre planète avec ses milliards d’êtres vivants qui la peuplent. C’est déjà difficile de concevoir tout ce fourmillement d’énergie. Imaginez plusieurs de ces planètes qui compose le système solaire. Des milliards de système solaires tourbillonnent dans notre galaxie. Et il faut plusieurs milliards de ces galaxies pour composer notre univers. Imaginez l’énergie de ces Loas qui ont créé et qui animent l’ensemble de cette matière. Et les Loas eux même sont les serviteurs d’Olodumare.

Si les Loas sont du domaine des rêves comme je l’ai évoqué, Olodumare est du domaine du sommeil profond. Et il est difficile d’en faire l’expérience de façon consciente. Plus on descend dans ce sommeil profond, plus nos références s’effacent. Celles de notre corps. De notre mental. De notre personnalité. De notre égo. De nos histoires.

Mon maitre dit souvent, quand des religieux se rencontrent, c’est la guerre. Car ce sont des référentiels qui se rencontrent et qui se heurtent. Quand des mystiques de toute religion se rencontrent, c’est l’harmonie. Car il se rencontrent au-delà des référentiels, dans cette expérience de la source unique qui est la même pour tous et dont ils ont fait l’expérience.

Les référentiels sont partout. Regardez notre calendrier. Il est dit grégorien. Il a été créé au XVIème siècle. Savez-vous qui l’a créé ? Ce calendrier a défini un point 0 quelque part. Nous sommes en l’an 2024 par rapport à ce point 0. Et on s’est tous identifié à cette notion dont la nature est arbitraire et artificielle. Ce n’est ni bien, ni mal, il s’agit juste d’en être conscient. Car ce point 0 est très loin de correspondre au point 0 de la source Olodumare bien sûr.

Quand j’ai commencé à explorer différentes pratiques, j’étais dans un référentiel très restreint. J’avais entendu parler des grandes expériences de faire un avec la source. Et je me disais avec arrogance, avec tout ce que je pratique, pourquoi je n’arrive pas à faire cette expérience.

Parfois, par cette pratique ou par la grâce, le référentiel explose. Mon arrogance laissait place à une immense félicité mais aussi à la terreur du grand espace. Mon référentiel passe du grain de sable au petit galet, et c’est déjà beaucoup plus que ce que je ne peux supporter. Et depuis mon petit galet, j’entrevois la montagne d’Olodumare.

Cette montagne est à aborder avec beaucoup de respect. C’est pourquoi les Loas existent. Ils sont plus proches de nous.

Avec les Loas on peut utiliser des supports qui les représentent pour méditer. Avec Olodumare la méditation se fait sans aucun support. Elle permet de transcender les distances spatiales, temporelles, linguistiques, culturelles, nominales, égotiques, matérielles, pour retrouver la grande famille de l’unité.

Une grande question d’Olodumare est donc bien sûr, où est votre point 0 ?